Un grand château, une grande table de princesse, mais une jolie fille en train de faire le ménage à la place de ladite princesse. Le cliché typique qui, si il correspondait à première vue à l'univers dans lequel baignait les habitants du manoir du chapelier, n'était rien d'autre qu'un avis donné par la plupart des gens qui s'aventuraient près de la maison de cet artiste aux idées loufoques dont le passe-temps préféré parmi tant d'autres était de boire du thé en continuité.
Car ces gens ne voyaient que l'aspect extérieur, et si la jeune femme qui s'amusait à récurer les bols le faisait bel et bien sans protester, comme si cela avait été son travail, la jolie robe de princesse d'un beau jaune pâle détonnait complètement dans ce tableau typique digne de Cendrillon. De même que son épaisse chevelure rouge vif qui lui descendait jusque dans le bas du dos, résultat d'une coloration, une de plus, pour le moins voyante.
Elle chantait en astiquant, lavant, rinçant et nettoyant des tasses qui avaient servies pour le thé, faisant attention à ne pas en casser une cinquième. On pouvait d'ailleurs voir sur le côté du baquet dans lequel elle lavait les couverts, quelques morceaux de porcelaines, résultats de vols planés malencontreux, et d'atterrissage défectueux. Les mains maladroites de la « rouquine » allaient de l'un des récipients à l'autre, alors que ses pensées étaient entièrement tournées vers le Chapelier, absent depuis quelques jours déjà, qui recommençait à lui manquer alors qu'une semaine plus tôt elle ne pouvait plus le supporter. À vrai dire, il lui manquait lorsqu'il n'était plus là, ce qui arrivait trop souvent au goût de la jeune femme qui ne se gênait toutefois pas pour le tromper avec d'autres personnes de ce grand pays. Et puis, un peu, ça allait, trop, c'était trop. La vie des artistes n'était pas de tous repos.
Sortant du registre de chanson joyeuse que lui avait apprit le Chapelier, Ellane sifflota pendant quelques instants l'une des comptines qui lui revenait à l'occasion en mémoire, bien qu'elle butât assez régulièrement sur tel ou tel mot. Son regard émeraude, la seule chose qu'elle ne voulait pas changer, se perdit dans le lointain, caressant les courbes qu'offraient les montagnes et les maisons qui entouraient le grand manoir avant de revenir vers la table encore couverte de tasses en tous genres. Il lui restait du travail... Beaucoup de travail. Elle s'instaurait ses propres règles et un minimum de rangement aux alentours du manoir était la moindre des choses d'après elle, bien qu'à l'avis de ses nombreux amants, elle aurait mieux fait de débarrasser sa chambre de la multitude de fringues qui traînaient sur le sol ce dont elle se fichait éperdument...