Qu'èz cé ça ?

Pour son non-anniversaire, le lièvre de mars avait eu l’idée de remplacer le thé par un peu de pinard pas désagréable en bouche. Le Chapelier avait chanté, bu, joué, bu, dansé, bu, guiguendéliré et bu aussi. Il s’était prit les pieds dans la nappe et s’était retrouver à brouter les pavés. L’esprit un peu tourbillonnant, il s’était endormi là pour rouvrir les yeux une heure plus tard. L’éveil s’accompagnait d’une forte impression qu’une armé de fourmi dansait la salsa et jouait au bowling avec ses yeux avec de faire un feu de camp et de se mettre à la roulette russe. Ses camarades somnolaient tous un peu aussi même le lièvre qui parlait en dormant, le nez barbotant dans une théière. Dans son rêve, il était visiblement assaillis par une armée de bout de sucre.

Jervis se redressa, manqua de renverser la table et provoqua ainsi quelques grognements inconscients. Il voulu fumer un peu d’opium mais à peine la première bouffée tirée qu’il sentit remonter jusqu’à ses lèvres un arrière goût de vinasse. Son estomac se retourna violemment et il dégurgita un peu de son saoul.
Zigzaguant et mal en point, l’esprit rebondissant et le cerveau crépitant, il s’éloigna dans l’idée de prendre l’air. C’était bien la première fois que ça lui prenait. Il faut dire que d’habitude, quand il s’effondrait, il ne se relevait pas avant la moitié de l’après midi. Ce dérèglement était fâcheux.

Ses pas lui firent traverser la forêt du Chat de Chester. Celui là, sitôt son cadeau dépaqueté, il s’était vite fait la malle. Il avait un peu consommé quand même. Mais ce n’était pas son genre de ronfler sous la table avec une cuite. Il devait guetter depuis une branche quelque part. Sûr que si le Chapelier avait été une petites filles en bas de laine, il aurait surgi tout d’un coup avec ses rangées de dents luisantes. Surprise qui aurait été fatale à son état.

Une fois qu’on passe la forêt, on se retrouve dans un désert. Instinctivement, il suivit le ruisseau d’argent et s’aspergea un peu le visage avec. Rien à faire, la fraîcheur eu beau lui faire du bien, il ne sortit pas de sa torpeur.

Foutue nuit. Il avait beau ne pas marcher très vite, il lui semblait que le chemin avait glissé sous ses pieds, il n’était jamais allé aussi loin à pied. Si on ouvrait les yeux (ce qu’il ne fit pas entièrement) on pouvait voir le Château de la Reine Rouge. Les gardes ne le reconnurent pas et ne voulurent pas le laisser rentrer. S’ils l’avaient reconnus, ils l’auraient jeté dans le fleuve, d’ailleurs. Sans insister, Jervis trouva en tâtonnant le passage secret qu’il utilisait d’habitude, de l’autre côté. Il s’allongea dans l’herbe entre deux rosiers, derrière une haie. Il devait bien y avoir quelques cartes pour patrouiller ici et là. Dire que si on le découvrait il allait falloir qu’il explique ce qu’il foutait dans le jardin à deux heure du matin, fiévreux et puant l’alcool.

Il marcha encore un peu et s’adossa à un arbre dont il ne nota même pas l’étrangeté. D’ailleurs en temps normal, l’aspect de cet arbre ne l’aurait même pas dérangé. Il était tout entier possession des choses illogiques du royaume. Il vomit encore un peu et s’essuya la bouche en fixant le tronc qui le reflétait tant il était brillant.

Oh non, grand dieu mais…qu’est ce que c’était que ça ?

Encore empêtré dans son sale état, il avait sentit quelque chose lui tirer la manche. Alors qu’il s’épongeait le front en jurant tout ce qu’il savait (à propos de ce qu’il venait de recracher), le frisson remontait jusqu’à son épaule. Il avait l’impression de glisser lentement dans de l’eau qui ne mouillait pas. C’était assez désagréable, un peu comme quand il avait le bras coincé entre le mur et la chaudière, il ne se sentait plus. Ça le démangeait mais le gouffre refusait de lui rendre le membre. Pire, il voulait le manger tout entier.

Enfin, le Chapelier releva la tête. C’était un de ses bon sang de miroirs, une de ses saletés qui en théorie ne devait pas faire plus que le dévisager bêtement comme d’habitude.

Il s’arc-bouta et de son bras libre tenta de se retenir sur terre. Ah ça non, il n’allait pas se laisser bouffer. Demain c’était son non-anniversaire, pas question d’être digérer maintenant. Il tira dans le sens inverse de toute ses forces et cru avoir réussi à dégager un morceau de son épaule. Sa main libre s’empara d’une branche et s’y accrocha. Il envoya plusieurs coup de pied nerveux au tronc brillant. Sa tête semblait aller mieux même si, dans l’instant de panique, elle ne s’obstinait qu’à envoyer des ordres n’importe comment. Se libérer, par la Reine, se libérer tout de suite. Il poussa un cri de rage.

En secouant le pied, il parvint à ôter une botte, à la projeter assez pour atteindre sa main toujours agrippée. Avec, il entreprit de cogner de toutes ses forces la bouche miroitée qui voulait le bouffer. Mais cette saloperie...Il se tapait dessus inutilement. Son pied encore chaussé se coinça dans une racine, assez pour essayer de la maintenir sur terre. Mais la pression le soulevait déjà presque.
Pas après une cuite,...c’était pas humain, ça.